Thibault Stoyanov
Thibault Stoyanov est sorti de l’ESMA en 2010. En dix ans d’expérience il a vu le monde de l’animation 3D et des effets spéciaux. Depuis plusieurs années il travaille pour le studio Illumination MacGuff. Nous l’avons rencontré et il revient sans détour sur son parcours professionnel.
Retour sur tes années ESMA
Qu’est-ce qui te plaît dans le monde de l’animation 3D et des effets spéciaux ? Qu’est-ce qui t’a poussé à te diriger dans cette industrie du divertissement ?
Avant d’intégrer l’ESMA j’avais fait un BTS informatique à Toulouse mais ce milieu ne me plaisait pas. J’ai cherché à me réorienter, sans but précis, et c’est comme cela que j’ai découvert la formation ESMA, via internet. Ce qui m’avait plu c’était surtout le côté très créatif ainsi que la possibilité de pouvoir créer et d’avoir quelque chose de concret à la sortie : un court-métrage. C’est vraiment ça qui m’a attiré dans cette formation et même dans ce métier.
Pourquoi avoir choisi d’intégrer la formation de l’ESMA ?
Haha déjà il y a eu le choix de la localisation de l’école ! Montpellier n’était pas très loin de chez moi. Mais au-delà de ce critère, ce qui m’a convaincu ce sont les courts-métrages produits par l’ESMA. Ils étaient déjà d’une excellente qualité. Lors de mes recherches, je me rappelle avoir vu le film Tong, qui m’avait bluffé par sa qualité. Pour moi, si les films étaient de qualité, cela voulait dire que l’enseignement l’était également.
Qu’est-ce que la formation t’a apporté ? et les professeurs ?
Quand je suis arrivé, je n’avais aucun bagage artistique, seulement un profil technique. L’école m’a apporté cette vision artistique : comment analyser une œuvre d’art, comment en créer une, comment « avoir l’œil ». Les professeurs nous ont énormément apportés à ce niveau-là, surtout Jean-Marc Urquidi et Christophe Joubert. Donc oui, beaucoup de choses au niveau artistique mais aussi tout le bagage technique qu’il faut pour évoluer dans l’univers de la 3D et des effets spéciaux.
Appréciais-tu une matière en particulier ?
J’appréciais particulièrement les cours de scénario où nous analysions des courts-métrages et des séquences de films de M. Joubert. Au niveau technique, c’était plus le modeling et le rigging. J’en ai même fait mon métier !
Peux-tu nous parler un peu de ton film de fin d’études ?
C’était une super expérience où je me suis régalé ! Comme dans toutes vies de groupes, il y avait des hauts et des bas mais si c’était à refaire, je le referais. Pouvoir créer quelque chose de tes mains c’est fabuleux. Aujourd’hui, je travaille sur des films où j’ai le statut d’intervenant et nous sommes 300 à travailler sur un long-métrage. Au final, on fini par un peu se détacher du film lui-même. Sur un petit projet comme celui du court-métrage de fin d’études, on a la main mise : c’est notre projet.
Comment s’est passée ton immersion professionnelle après ta sortie de l’ESMA ?
Je suis sorti en 2010 et en janvier 2011 je travaillais chez DNEG à Londres. Les gens du studio m’ont très vite mis à l’aise et l’intégration s’est faite en douceur. Dans mes souvenirs, j’ai passé l’entretien avec DNEG deux mois après la projection des films de fin d’études et après j’ai été embauché pour commencer en janvier de l’année suivante. Il me semble que j’avais soumis ma demoreel au studio DNEG lors du job fair organisé par l’ESMA puis j’ai été recontacté par la suite.
Tu es sorti en 2010. Presque 10 années se sont écoulées. Comment as-tu vécu l’évolution de la 3D et des effets spéciaux sur cette décennie ?
L’évolution au niveau technologique a été impressionnante. On peut dire que lorsque j’ai commencé ma vie de professionnel, c’était presque « artisanal ». A présent, tout est beaucoup plus automatisé et la technologie vient en support de la qualité de l’image. De ce fait, la qualité des films évolue. A notre sortie de l’école on pense tout savoir sur la technologie et sur notre métier mais c’est faux ! Il faut toujours apprendre et se tenir au courant des avancées dans le secteur. Il faut rester un apprenti. On acquiert de nombreuses connaissances en sortant de l’école mais il ne faut pas se fermer à cet apprentissage constant et il faut savoir évoluer avec le métier.
Pour la projection des films de fin d’études de la promo 2019, tu vas être membre du jury. En tant qu’ancien, qu’est-ce que cela te fait d’être dans le rôle de juge ?
C’est la première année où je suis dans ce rôle de juge ! J’avais déjà participé au jury de fin d’année mais seulement pour assister aux projections. C’est assez bizarre car j’étais sur le podium il y a une dizaine d’année et là je vais être de l’autre côté. D’ailleurs, je viens accompagné de Boris Jacq, mon superviseur, qui lui-même qui m’avait fait passer les entretiens lors de mon job fair quand je finissais mon cursus. La boucle est bouclée !
Qu’attends-tu des films de cette promotion ?
Qu’ils nous en mettent plein les yeux ! La qualité augmente chaque année alors on s’attend à voir quelque chose de supérieur. Je n’attends pas d’un film qu’il soit porté uniquement sur l’esthétisme, pour moi, quand on fait un film c’est un tout. Même un film dit « simple » peut se révéler être le meilleur.
Pour l’instant je n’ai vu qu’un seul teaser car c’était celui de mon stagiaire qui venait de l’ESMA ! Je n’ai pas voulu regarder les autres car je souhaite garder la surprise pour la projection et ne pas avoir d’aprioris !
Ton parcours professionnel
Peux-tu nous présenter tes passages chez les différents studios où tu as exercé ? Qu’est-ce que ces différentes expériences ton apportées ?
J’ai commencé ma carrière dans le studio Double Negative (DNEG) à Londres comme je le disais. Je suis resté plusieurs mois où j’ai travaillé sur Captain America puis John Carter of Mars. Je faisais partie de l’équipe de support pour les animateurs, un peu les petites mains.
Par la suite je me suis fait débaucher par The Mill, toujours à Londres, et là j’ai pu être rigger. J’ai eu un superviseur génial qui m’a appris plein de choses. Les équipes étaient plus réduites ce qui permettait d’échanger plus facilement. J’ai retrouvé un peu la forme de fonctionne que lorsque j’étais à l’ESMA. C’était très intéressant mais les temps de fabrication étaient courts avec un rythme de travail plus intense. Les clients aussi étaient plus exigeants, pouvant changer d’avis du jour au lendemain. Il fallait savoir faire preuve d’adaptabilité mais c’était très formateur.
A la fin de ma mission chez The Mill, j’ai eu l’opportunité d’aller à Los Angeles ou d’aller à Paris chez Illumination MacGuff. J’ai choisi de rentrer en France et d’intégrer le studio en tant que rigger sur le projet Les Minions. Et voilà, depuis 2013 je suis au studio Illumination.
En sortant de l’école, tu as intégré le studio DNEG à Londres où tu as commencé à travailler sur des projets de grandes ampleurs comme Captain America. Comment l’as-tu vécu ? Pas trop stressant ou impressionnant en sortant d’école ? Et les relations avec tes collègues de travail ? Et les différents départements ?
On ne se rend pas compte qu’on travaille sur un film très attendus. Nous sommes plongés dans notre travail et, comme je disais, on se détache un peu du film lui-même. Il faut savoir que lorsqu’on commence à travailler sur les films, la promotion n’a pas encore débutée, elle commence environ six mois après avoir fini le film.
C’est assez impressionnant car on passe d’une école à un studio avec énormément de monde. Les départements restaient à taille humaine, environ une dizaine de personnes, donc on pouvait quand même échanger facilement. On ne côtoie pas tous les départements donc cela reste restreint comme relations de travail, mais l’ambiance a toujours été bonne, même dans les plus grands studios.
Tu es resté plus de deux ans à Londres, comment ça s’est passé pour toi ? Et la pratique de l’anglais ? Était-ce un choix de partir en Angleterre ou une opportunité ?
Haha ! Alors j’aime bien raconter une anecdote : un jour une dame vient me voir pendant que je travaillais sur Captain America, et elle me parlait. Je me contentais de répondre « yes, yes ». Au bout d’un moment je pense qu’elle m’a dit : « tu ne comprends pas ce que je te raconte » et je lui ai répondu « yes, yes » ! C’était très drôle. J’avais des bases mais je n’étais pas bilingue. En fait, ils ont l’habitude de travailler avec des étrangers et Londres est une ville très cosmopolite.
Je suis allée à Londres car on me proposait un poste mais je voulais aussi avoir une expérience étrangère. Ce qui m’a aidé aussi, c’est que plusieurs amis d’enfance vivaient dans cette ville. Cela m’a permis de voir une autre culture !
En revenant de Londres, tu as enchaîné quelques mois chez Planktoon. Là-bas tu as développé un projet basé sur Pierre Augé (chef biterrois et surtout connu pour avoir été vainqueur de l’émission culinaire Top Chef). Peux-tu nous en parler ?
Pierre est un ami de famille et d’enfance. Il y a quelques années il avait publié une BD et je l’avais contacté après avoir fini mes missions à Londres afin de lui proposer d’adapter en animation 3D sa BD. Il a aimé l’idée et m’a laissé carte blanche. Deux anciens de l’ESMA m’ont accompagné au début du projet puis j’ai continué tout seul.
Sentant qu’il y avait du potentiel, j’ai soumis l’idée à Pierre de le faire produire pour en faire une série destinée aux enfants. On abordait des thèmes comme le gaspillage alimentaire, les bons produits… Planktoon nous a donné les moyens de réaliser un teaser qu’on a proposé à des diffuseurs.
Malheureusement ça n’a pas donné mais l’expérience a été enrichissante. Mais cela ne m’a pas démotivé car j’ai un autre projet, basé sur le rugby maintenant, toujours à destination de la jeunesse ?
Par la suite tu as intégré les équipes du studio Illumination MacGuff. Tu y es depuis 6 ans maintenant. Tu as pu travailler sur des projets comme Les Minions, Moi moche et méchant 3, Tous en scène, Comme des bêtes … Peux-tu nous en parler ?
J’ai débuté chez eux sur le projet Les Minions en tant que character rigger (chez Illumination MacGuff nous dissocions les personnages à animer des objets à animer). C’était génial car ça faisait rêver ! Le projet était sympa, la production assez longue – un an et demi. Puis j’ai enchaîné sur Tous en scène 1, toujours au même poste, qui était une nouvelle licence développée par le studio et le réalisateur Garth Jenning. Les personnages étaient un peu plus évolués avec des demandes un peu plus précises et exigeantes de la part des animateurs.
J’ai enchainé sur Moi moche et méchant 3, retrouvant l’univers des Minions que j’adorais, et là encore j’ai évolué sur le travail : j’ai géré des personnages secondaire et même principaux. Ensuite pendant un an et demi j’ai participé au projet Comme des bêtes 2 où j’ai encore évolué en passant au poste de lead.
A présent, depuis un peu plus d’un an, je suis passé superviseur sur le projet Tous en scène 2. Cette évolution me ravie, j’ai plus de responsabilités et je travaille avec une équipe de six personnes.
Actuellement tu es sur le projet Tous en scène 2. Peux-tu nous en parler ?
Haha, pour l’instant ça reste encore secret ! Tout ce que je peux dire c’est que ça sera dans la lignée du premier. Le réalisateur a voulu conserver l’essence du premier avec de l’humour à l’anglaise. Je manage une équipe de six personnes et il me faut proposer des solutions aux animateurs et aux autres départements, avoir un discours cohérent envers les personnes avec qui on est en lien : modeling, character fx, faire des propositions de rig pour l’animation des personnages… C’est assez exigeant et il faut être consciencieux sur ce qui est produit.
Comme des Bêtes 2 vient de sortir au cinéma. Tu peux nous parler de ce projet ?
Je n’avais pas participé à la réalisation du premier donc j’ai dû découvrir tout cet univers et me plonger dedans. Comme je disais, j’ai été lead sur ce projet, qui a duré un an et demi.
Avant cela, je ne travaillais que sur des personnages « humains » et là, il me fallait me familiariser avec des animaux. L’anatomie est différente est donc l’approche l’est elle aussi. Le film est sorti un peu partout dans le monde est connait de très bons retours. On est très contents !
Tu es dans ce studio depuis plusieurs années. A quoi cette longévité est due ?
Déjà le studio sort des films de qualité et régulièrement, ça donne envie de rester. On nous fait confiance aussi puisque j’ai pu évoluer sur mes postes et prendre plus de responsabilités donc je ne me voyais pas partir en pleine évolution. Et puis tout simplement la situation familiale aussi qui fait que j’ai envie de me stabiliser.
à présent, quel est ton poste actuel et en quoi consiste-t-il ? Qu’est-ce qui te plaît dedans ?
Je suis character rigger supervisor ce qui consiste à créer des squelettes virtuels sur des modélisations 3D. Quand on est graphiste, on récupère une modélisation 3D impliquant une contrainte : un humain, un animal… L’humain marche debout, l’animal à quatre pattes donc il faut adapter son rig.
Aujourd’hui je suis plus dans le management d’équipe et à trouver des solutions à des problématiques. Par exemple, un des personnages de Tous en Scène 2 avait une problématique particulière et il me fallait trouver des outils pour résoudre cela afin que les autres départements puissent réaliser leur travail.
J’accompagne aussi les graphistes de mon équipe à trouver des solutions afin de les aider à évoluer et à trouver par eux-mêmes des solutions. J’ai des jeunes qui sortent d’école, il me faut les accompagner comme cela a été le cas pour moi. Il y a aussi un côté éducatif !
Enfin, il y a la relation avec les autres départements, je fais le lien avec eux.
Quelles sont les compétences et qualités demandées pour faire ce métier ?
A mon sens il faut être organisé et développer sa patience ! On fait du virtuel donc un réalisateur peut changer d’avis. Il faut savoir s’adapter et avoir la patience de recommencer sur quelque chose d’autre. Mais aussi travailleur et exigent.
De manière générale, vas-tu au cinéma voir les films sur lesquels tu travailles ?
Dès que le film sort, Le studio organise une projection privée pour toutes les équipes, même ceux qui n’ont pas travaillé sur le film.
Récemment il a eu la projection de Comme des bêtes 2 et tout le cinéma a été privatisé pour nous ! On peut venir en famille si on le souhaite, c’est vraiment génial. Et c’est top de voir le produit fini sur grand écran.
Est-ce qu’au long de ton parcours professionnel tu as rencontré et travaillé avec des anciens de l’ESMA ?
Bien sûr ! Dans mon équipe on est trois anciens de l’ESMA sur six personnes ! Sur l’autre équipe de rig, il y a un ancien de l’ESMA. Et comme dit précédemment, j’avais eu un stagiaire de l’ESMA l’été dernier.
Même chez DNEG il y avait un petit groupe de l’ESMA, chez The Mill également. Au début chez Illumination nous n’étions pas trop nombreux mais au fil des ans, de plus en plus de profils de l’ESMA sont venus nous rejoindre.
Y a-t-il un projet dont tu es particulièrement fier ?
Franchement, je dirais mon court-métrage de fin d’études. C’était notre projet, notre bébé, le seul projet où on avait autant la main mise dessus. Je me rappelle du brainstorming que nous avions fait avec le professeur de scénario : on est parti dans des délires, c’était fabuleux.
Cela n’empêche pas que j’adore les projets sur lesquels je travaille et lorsque tous en scène 2 sera fini je serai très fier de tout ce qu’on aura accompli !
Pour conclure
Des projets d’avenir ?
Finir les projets en cours au studio MacGuff, voir ce qui va se passer sur les nouveaux projets qui vont entrer et développer mon projet de rugby en vue de la coupe du monde qui va arrive en 2023 en France.
Où t’imagines-tu dans 5 ans et que feras-tu ?
C’est loin encore ! On est dans un métier qui fonctionne de projets en projets. Si je re-signe pour un projet, j’en aurais pour au moins deux ans. Mais pourquoi pas être toujours chez Illumination ! Je ne me ferme pas non plus à partir à l’étranger.
Pour finir, un petit conseil à donner aux étudiants et futurs étudiants ?
Pour les étudiants de dernière année, il faut qu’ils profitent de cette opportunité de pouvoir travailler sur leur film. C’est peut-être le dernier moment où ils peuvent travailler sur leur projet à eux. Il faut qu’ils s’approprient leur projet et qu’ils en restent maître car ça sera peut-être la dernière fois où ils auront leur mot à dire.
Concernant les étudiants qui arrivent, c’est beaucoup de travail et de l’investissement.